Compétitivité : les filières dénoncent un cumul d’obstacles à l’export
Aux Assises de l’export alimentaire, des représentants de filières ont décrit un environnement réglementaire et diplomatique qu’ils jugent défavorable pour l’exportation. Ils réclament un engagement public massif.
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Le Collectif export et souveraineté alimentaire (1), créé par le Centre national pour la promotion des produits agricoles et alimentaires (CNPA), organisait pour la première fois des Assises de l’export alimentaire, le 18 novembre à Paris. L’ambiance y est morose, tant les représentants des filières agricoles et agroalimentaires affichent leur inquiétude.
Ils ne peuvent que constater la dégradation des exportations françaises. Dès l’introduction de l’événement, le président du CNPA, Yannick Fialip, souligne que la balance commerciale agricole française est proche de zéro cette année — ce qui n’était pas arrivé depuis une quarantaine d’années — après avoir culminé à plus de 15 milliards d’euros entre 2015 et 2020.
Un diagnostic sévère de l’environnement réglementaire, logistique et diplomatique
L’une des tables rondes réunissait Stéphane Travert, député EPR de la Manche, Arnaud Lécuyer, vice-président de la Région Bretagne en charge de l’agriculture, Philippe Heusèle, président du comité des relations internationales d’Intercéréales, et Dominique Chargé, président de La Coopération Agricole. Tous ont livré un diagnostic sévère de l’environnement réglementaire, logistique et diplomatique français.
« Au début des années 2000, la France héritait d’une dynamique de production et d’une position internationale affirmée, efficace et reconnue, ouvre Dominique Chargé. Pourtant, depuis cette période, on observe une lente dégradation de notre compétitivité et de notre capacité à exporter. »
« Plusieurs facteurs se cumulent, reprend le représentant des coopératives agricoles. D’abord, la compétitivité globale du secteur industriel, affectée par des contraintes sociales, fiscales et environnementales. Ensuite, le contexte de la production agricole, marqué par une surtransposition des règles qui affaiblit nos capacités de production et, par ricochet, nos exportations. Nous exportons de plus en plus de produits bruts et nous importons des produits transformés, ce qui déséquilibre notre balance commerciale. »
L’impact se traduirait, selon lui, dans les chiffres : « Sur la période glissante de juin 2024 à juin 2025, il n’est plus que de 575 millions d’euros. […] Les données de septembre 2025 sont encore plus préoccupantes, avec un déficit de 158 millions d’euros. »
Un environnement normatif jugé pénalisant
Ces difficultés structurelles se doublent, aux yeux des intervenants, de contraintes réglementaires spécifiques. Pour Philippe Heusèle, « en France, tout semble prendre plus de temps qu’ailleurs, chez nos concurrents. Cela nous pénalise. » Il cite également la mise en place des dispositifs carbone aux frontières : « Les règles d’application restent floues […] et cette taxe supplémentaire pèse sur les producteurs et, in fine, sur toute la filière. »
Philippe Heusèle note aussi que la promotion des filières souffre parfois d’un manque de coordination entre les acteurs. « Mieux s’organiser est essentiel, lance-t-il. La filière céréalière française est déjà bien structurée, mais il reste des marges de progression, notamment en matière de logistique. Celle-ci est un pilier de notre compétitivité : elle nécessite des investissements et un soutien public pour maintenir et moderniser les infrastructures. »
Plus globalement, la compétitivité serait menacée, selon lui, par une perte de productivité dans la production agricole liée à l’impact du changement climatique — qui pèse directement sur les rendements — et par la « réduction des moyens de production disponibles ». Il dénonce notamment « les interdictions de certaines solutions, sans alternatives immédiates », qui « se multiplient ».
Résultat ? « Une perte de matière, une baisse de productivité, particulièrement critique pour les céréales, où le volume est un facteur clé de rentabilité pour toute la filière. » Le président du comité des relations internationales d’Intercéréales exige en conséquence « une prise de conscience et un engagement fort des pouvoirs publics ».
Diplomatie économique
À l’échelle régionale, le vice-président breton Arnaud Lécuyer rapporte les difficultés diplomatiques rencontrées sur le terrain : « Nous avons exporté des plants de pomme de terre vers l’Algérie : avec la tension diplomatique, ça a été très compliqué. » Au-delà des embargos ponctuels, il pointe les effets pervers de certains choix diplomatiques sur la concurrence interne, citant le cas de la tomate.
« La France, dans ses relations diplomatiques, a surinvesti le Maroc sur les questions agricoles et alimentaires, estime-t-il. Bilan : des facilitations pour l’importation de la tomate, et des producteurs, en Bretagne mais aussi dans le sud de la France qui en pâtissent. Vous avez la fameuse barquette de tomates cerises marocaines à 99 centimes les 250 g. Nous, on est autour de 2 €. »
Soutien de l’État
Au terme du débat, la demande d’un engagement renforcé des pouvoirs publics s’est imposée comme un leitmotiv. « Les entreprises et coopératives ont besoin d’investir. […] Il va falloir qu’on s’y mette à plusieurs, dont l’État », affirme Arnaud Lécuyer, qui appelle à y consacrer « des millions, des milliards sur plusieurs années pour moderniser » les outils.
Stéphane Travert souligne aussi le besoin d’une action coordonnée entre la profession et l’État pour un meilleur rayonnement de la production française : « Nous avons besoin d’une équipe de France dans les salons internationaux, qui va, lorsqu’il y a des déplacements ministériels, présidentiels, ou de présidents de Région, emmener avec elle des chefs d’entreprise pour valoriser leur production et leur travail. »
Les inquiétudes portent aussi sur les perspectives européennes. Stéphane Travert constate « que la maquette financière de la Pac n’est pas à la hauteur des ambitions ». Il voit d’un mauvais œil la proposition de la Commission européenne de fusionner la Pac et la politique de cohésion. « Si demain ces deux budgets sont fusionnés, moi j’ai des craintes extrêmement fortes sur la capacité, demain, à pouvoir financer à la fois nos exploitations, financer nos filières, et qu’elles puissent devenir compétitives », déclare-t-il.
(1) Ania, Anivin de France, Chambres d’agriculture France, CNIPT, CNMCCA, FNSEA, Inaporc, Interbev, Intercéréales, Interfel, La Coopération Agricole.
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